Interview avec Nicolas Biagosch – Co-initiateur de Q Protocol : la décentralisation et ses problèmes de gouvernance
Nicolas Biagosch, le co-initiateur de Q Protocol, a bien voulu nous accorder une interview. Au cours de celle-ci, il a mis en lumière plusieurs problématiques de gouvernance au sein des blockchains décentralisées.
Les problèmes actuels de la décentralisation
Le concept de décentralisation, partiellement amené par Bitcoin, ne cesse de questionner et a permis de pousser de nombreux projets à l’excellence. Le concept apporte une forme de sécurité importante qui, jusqu’à maintenant, n’est que très rarement et difficilement égalée.
Toutefois, il existe un problème qui était jadis présenté comme une solution : le concept de Code is Law :
« Code is law est un concept de gouvernance incroyable. Nous pensons réellement qu’il s’agit d’un concept de gouvernance très intéressant. Les règles sont transparentes et tout est automatisé. Les disputes, quant à elles, sont résolues très facilement. Toutefois, les implications et limitations de ce concept sont importantes. Le monde entier ne peut pas être du code. »
En effet, la notion si charmante du « Code is law » limite grandement certaines fonctionnalités. Toutes les décisions ne sont pas binaires, comme le rappelle Nicolas Biagosch, et les réponses à certaines questions dépendent alors de nombreux critères qui ne sont pas « codables ». On retrouve alors certaines notions humaines, émotionnelles ou encore culturelles.
Le Code is Law ouvre la porte aux hacks, selon Nicolas Biagosch
L’application stricto sensus deCode is Law mène à plusieurs problématiques qui sont alors incompatibles et parfois même dangereuses pour un système décentralisé, selon lui :
« Cela conduit alors deux cas de figures, à commencer par une centralisation très importante qui ouvre la porte à des facteurs d’attaques et de risques comme on a pu le voir dans de nombreux protocoles. »
Dans le cas des DAO, le problème n’est pas non plus totalement résolu. Ce que le Co-initiateur de Q Protocol appelle « the wisdom of the crowd » (La sagesse du groupe, en français) devient alors inefficace :
« La sagesse du groupe est très efficace dans certains cas de figure, par exemple lorsqu’il s’agit de sens commun. Pour tout ce qui relève de l’expertise, la sagesse du groupe est très mauvaise. » explique-t-il.
Par ailleurs, il convient d’établir que le pouvoir de gouvernance, représenté par le pouvoir de vote, n’est que très rarement respecté. La plupart du temps, les entités les plus importantes ont un pouvoir largement supérieur au reste des individus de la communauté. En conséquence, seuls quelques individus bénéficient réellement du système mis en place.
« Finalement, seules quelques personnes ont un pouvoir décisionnaire, bien souvent celles qui ont une Master Key. Ce sont finalement elles qui décident du destin du système mais également des actifs placés en lock-in dans le système. » déclare Nicolas Biagosch.
“Une gouvernance mal placée” explique le co-initiateur de Q Protocol
Le second problème majeur des écosystèmes décentralisés repose également dans le point d’ancrage de la gouvernance, selon le co-initiateur :
« Dans le cas d’Ethereum, la sécurité des transactions est assurée en dehors du protocole. Dans le cas de la gouvernance, le pouvoir décisionnaire siège au sein du protocole. On ne voit ça nulle part ailleurs. Dans le monde réel, l’autorité et la gouvernance sont toujours placées en dehors de l’entité en question. Dans le cas d’une banque, on ne fait pas confiance au directeur de l’établissement, mais au système et à la loi qui l’encadrent. »
Fatalement, l’espace en question se retrouve alors face à une impasse. En effet, faire grandir un business revient à faire grandir les risques qui l’accompagnent. C’est la raison pour laquelle est né Q Protocol.
Q Protocol propose d’ancrer la sécurité en dehors de son protocole
Depuis plusieurs années, les communautés décentralisées se basent sur le fait que Code is Law. La majeure partie des développeurs s’accordent pour affirmer cela, et c’est d’ailleurs ce qui a fini par conduire aux smart contracts tels que développés par Ethereum. Le sentiment général s’accorde alors pour affirmer qu’il semble complexe de trouver une solution alternative.
Interrogé sur l’éventualité d’une solution face à ces problématiques, Nicolas Biagosh mentionne alors l’introduction du facteur humain sans pour autant piétiner l’idée que c’est bien le code qui fait foi :
« Notre approche consiste à mitiger les risques. Nous offrons un point d’ancrage externe pour la sécurité, et nous avons commencé par appliquer ce principe à notre fonctionnement interne en premier. Par la suite, nous avons offert la possibilité de construire via ce mode de fonctionnement directement sur Q. Nous avons maintenant plusieurs centaines de projets dans lesquels les utilisateurs peuvent réduire le risque de centralisation en définissant le point d’ancrage de la sécurité en dehors de Q, au sein de leur propre protocole. »
Si les solutions proposées par Q ne permettent pas d’effacer totalement ces risques, elles permettent cependant de les diminuer de manière importante. En parallèle d’une piste sur la sécurité, la mécanique du protocole permet également de prémunir des risques liés à la trésorerie, notamment concernant les situations où la communauté décide à l’encontre du code.
Aller au-delà du code avec Q Protocol pour rendre la sécurité de la gouvernance plus forte
Concernant la problématique liée au fait que Code is Law, Q propose non pas de rejeter le concept, mais plutôt de l’améliorer en insérant un facteur humain décisionnel fort. Dans ce cas, la décision des utilisateurs vient s’ajouter comme une alternative afin de proposer une gouvernance plus sûre, plus imperméable aux attaques, et plus précise concernant les décisions à but humain.
« Nous pouvons réduire le risque de centralisation en proposant un regard sur la trésorerie, une constitution transparente, et, entre autres, un mécanisme transparent qui pourrait également servir dans le futur. Il est nécessaire d’avoir un mécanisme très fort afin de pouvoir anticiper les facteurs d’attaque et les brèches de sécurité sur le long terme. »
La question de l’intelligence artificielle fait alors sens, notamment comme un outil qui pourrait se positionner entre l’humain et le code. À ce sujet, Nicolas Biagosch rétorque que l’IA est trop imprévisible pour de telles fonctions :
« L’IA sera capable de faire de nombreuses choses en termes de prise de décision. Cependant, la question serait alors de savoir jusqu’où nous pouvons contrôler l’IA. La blockchain est un très bon moyen de définir un champ des possibles pour l’IA. Si on laisse l’IA agir en complète autonomie, cela pourrait causer un désastre complet. »
Q continue de développer son offre
Récemment, la plateforme a lancé son « DAO Toolkit » pour les développeurs et les créateurs. En effet, n’importe qui peut, par exemple, en quelques minutes seulement, créer et même mettre en place des phases de vote via cette boite à outil. L’accueil fut très positif :
« Nous avons lancé la 1ère version du toolkit avec l’idée de simplifier la tâche pour les DAO qui souhaitent développer et construire via nos infrastructures. Q est totalement ouvert et n’importe qui peut y créer ce qu’il veut. Nous avons environ 60 DAO qui l’utilisent à l’heure actuelle. »
Nicolas Biagosch explique également que l’outil est riche en possibilités en termes de configuration. Il met en avant la flexibilité et le fait que cet ensemble d’outils incarne très bien l’idée que Code is Law sans pour autant lui donner les pleins pouvoirs au détriment des utilisateurs.
Q cherche à permettre aux DAO de se dégager de plusieurs problématiques tout en apportant des solutions adaptées pour chaque utilisateurs. En parallèle, ce sont les grands problèmes de la décentralisation qui sont soulevés via les produits proposés par Q. Pour l’heure la DAO Toolkit permet déjà aux DAO existantes d’adopter une nouvelle approche dans leur gouvernance sans pour autant mettre de côté le code.